Casa da Saudade

Quand on commence une restauration, on ne sait jamais quelles surprises vous attendent et même un simple travail de décoration peut engendrer des tonnes de gravats dont l'évacuation à partir de rues étroites peut constituer un sérieux problème.
Une voisine, porteuse d'un projet identique de location saisonnière, a vu son chantier prendre beaucoup de retard en raison de la découverte des ruines arabes dans le sous-sol.
Un long mais passionnant travail de décoration a permis de transformer la maison tout en renforçant ce qu'elle avait de plus beau.
Après plus de six mois de travail et beaucoup de contretemps, la Casa da Saudade est prête à accueillir ses premiers visiteurs. Photos Luso.fr
Un couple luso-allemand, résidant en France, a décidé d’allier l’utile à l’agréable en se lançant dans la location saisonnière, l’Alojamento Local, qui continue de se développer au Portugal et qui, comme en France et ailleurs, ne fait pas que des heureux.

Depuis des décennies, ils venaient en Algarve et chaque année ils se demandaient quelle activité ils pouvaient développer pour prolonger leurs vacances indéfiniment, sans jamais trouver le moindre projet viable.

Bien que parti très jeune en France, dans les années soixante, avec ses parents, José n’a jamais oublié sa ville natale, Loulé, et a fini par en transmettre le virus à Astrid, son épouse allemande.

« C’est elle qui a eu cette idée, cela faisait des années qu’elle avait un tel projet en tête, mais le soudain succès du Portugal, notamment auprès des Français, a créé une nouvelle dynamique et a tout accéléré », explique José, qui avait souvent éprouvé de la peine en voyant tant de maisons en ruine ou à l’abandon à Loulé, comme partout ailleurs dans le pays.

Leur projet n’a jamais été de créer une villa sam’suffit, mais de restaurer d’anciennes maisons dans un quartier oublié, délaissé, et de participer activement à sa renaissance. C’est dans l’ancienne mouraria de Loulé qu’ils ont trouvé ce qu’ils cherchaient, une petite maison d’une soixantaine de m2, qui avait besoin d’un petit toilettage.

« Un jour, explique Astrid, nous avons fait venir notre architecte, qui travaillait sur un autre projet, et au bout de trente secondes Fernando nous redécoupait l’espace brillamment : deux murs à abattre, l’espace réservé à la cuisine partagé avec celui de la salle de bain et on se retrouvait avec une autre maison ».

En se lançant dans leur projet, le couple allait alors découvrir la burrocracia* portugaise : même pour des travaux intérieurs d’embellissement il faut demander une autorisation car il s’agit d’un quartier historique.

Leur avocate avait dit qu’une simple déclaration de travaux à la mairie était suffisante et qu’en l’absence de toute réponse au bout d’un mois cela équivalait à un accord tacite. Mais comme ils attendaient une décision concernant un autre projet, ils ont préféré prendre patience pour ne pas subir les foudres de la machine administrative.

La demande est allée de service en service, chacun son tour écrivant qu’il n’y avait aucune objection et six mois plus tard, les travaux ont enfin pu commencer.

« Cette procédure a pour objectif de protéger les sites et éviter que des gens détruisent le patrimoine, c’est très bien. Malheureusement, elle ne s’applique qu’aux petites gens, on a connu l’exemple d’un groupe espagnol ayant acheté des hectares de terrain en Alentejo pour faire de la culture intensive d’olives, qui a détruit sans le moindre scrupule des vestiges romains. L’amende qu’ils ont dû payer ne représente rien pour eux et vraisemblablement, le montant correspondant a surfé entre deux banques qui appartiennent au même groupe… », explique l’architecte Fernando.

Au-delà du retard pris dans le développement de tels projets, l’attitude procédurière des municipalités entraîne des retards dans tous les secteurs de la société : les architectes, les entrepreneurs et tout le tissu économique et social qui s’y rapporte en subissent les conséquences. Et le pire c’est que cela n’empêche pas la construction d’horreurs.

« Mais à présent, déclare Astrid, tous ces désagréments sont derrière nous, nous avons pris beaucoup de plaisir à restaurer cette maison comme si nous allions y vivre tous les jours, en nous disant qu’elle serait choisie par des gens qui partagent nos goûts, qui nous ressemblent, et dans le fond vont contribuer à la renaissance de ce quartier, l’ancienne mouraria de Loulé ».

La mouraria date de l’époque de la prise de la ville par les chrétiens, en 1249. La travessa dos Oleiros [traverse des Potiers], où se situe la Casa da Saudade a gardé son tracé intact depuis cette époque. Des fouilles récentes ont permis la mise à jour de silos, de murs et de fragments de poteries arabes. Le nom de la ville de Loulé proviendrait du nom arabe Al-Úlyá [la colline] ou du terme hybride mozarabe al-olea [l’olivier].

Dans une époque plus récente, au siècle dernier, cette rue a connu une intense activité, de nombreux artisans y travaillaient ; ainsi que beaucoup d’animation et de convivialité car la plupart des maisons appartenaient à la même famille.

« C’était une rue pleine de joie ! », témoigne un vieux voisin, la gorge serrée par la saudade et les yeux embués.


* De burocracia [bureaucratie] avec les deux R du burro [âne].