A la recherche du temps perdu

Brigitte à l’âge de deux ans et demi [août 1968], photo prise en compagnie de l’abbé Armand Ménard qui venait de temps en temps chez ses parents adoptifs pour lui rendre visite.
Brigitte Elisabeth CLAUDIE est née sous X, le 12 octobre 1965 à Paris 15ème (Hôpital Boucicaut). De ses parents biologiques elle ne connait que la nationalité et le prénom de la mère, Maria de Lourdes.

A la recherche des ses parents depuis une vingtaine d’années sans succès, elle nous a contactés. Intéressés par son histoire, pour ne pas dire émus, nous publions cette interview en espérant que quelqu’un puisse l’aider dans la quête de ses origines.

« Je suis née sous X. C’est une possibilité qu’ont les femmes d’accoucher anonymement lorsqu’elles attendent un enfant qu’elles ne peuvent ou ne veulent pas garder. L’enfant est donc déclaré comme étant né de mère et de père inconnus. C’est la raison pour laquelle on lui attribue des prénoms (souvent au nombre de trois) qui lui servent de patronyme.
Parfois, c’est la mère biologique qui donne ces prénoms, parfois ce sont les sages-femmes, parfois les employés de l’état civil. Les prénoms qu’on m’a donnés sont donc Brigitte Elisabeth CLAUDIE (le troisième servant de nom de famille). J’ai ensuite été adoptée (adoption plénière) et mes prénoms de naissance ont été remplacés par ceux choisis par mes parents adoptifs et par leur nom de famille ».

Luso.fr : Quand avez-vous appris que vos parents étaient adoptifs et qu'avez-vous éprouvé ?

Brigitte : J’ai toujours su que j’avais été adoptée, mais je ne me souviens pas quand et comment cela m’a été annoncé. Je suppose que ma mère adoptive me l’a dit de façon très naturelle au moment où elle m’a expliqué comment naissaient les enfants. Je me souviens qu’une fois elle m’a dit à propos des enfants, « mais toi, comme tu le sais, tu n’es pas née de Papa et de Moi, c’est une autre dame qui t’a donné la vie et comme elle ne pouvait pas s’occuper de toi, nous t’avons adoptée ». Mais à ce moment-là, je le savais déjà depuis longtemps.

J’ai toujours éprouvé une grande tristesse et beaucoup d’empathie pour ma mère biologique, car j’ai toujours pensé qu’être contrainte de laisser son enfant devait être un véritable déchirement. Je me suis toujours demandé ce qu’elle faisait, où elle était et à quoi ressemblait sa vie. Je me suis également toujours demandé quelle aurait été ma vie si elle m’avait gardée.
Je me demande si elle pense à moi et si elle s’est fait/se fait du souci pour moi.
Et bien entendu, je me demande toujours et encore à qui je ressemble, quelle est mon histoire familiale, les circonstances de ma naissance et les raisons de mon abandon.
J’espère un jour obtenir des réponses à toutes ces questions et si possible la rencontrer, ainsi que mon père. Je ne pense pas que cela changerait ma vie, mais cela me permettrait certainement d’apporter des réponses à des questions essentielles et récurrentes. Donc de trouver une certaine forme d’apaisement.

Concernant l’abandon et l’adoption, avant de commencer mes recherches pour retrouver mes parents biologiques, je pensais que l’accouchement sous X était une bonne solution pour les femmes qui ne pouvaient pas assumer un enfant, que cela leur permettait de confier leur enfant à une institution qui allait trouver une nouvelle famille à leur bébé et que celui-ci pourrait grandir dans une famille lui offrant amour, sécurité affective et financière. Je voyais cela comme un service que la société leur rendait et une façon pour ces mères d’offrir un meilleur avenir à leur petit. Aujourd’hui, après des années de recherches et notamment sur la question de l'abandon, mon opinion est radicalement différente. Je me suis aperçue que très souvent, les mères de naissances ne voulaient pas abandonner leur enfant et qu’elles étaient dans la plupart des cas contraintes de le faire par leur famille, pour sauver l’honneur et les apparences (lorsqu’il s’agissait de très jeunes filles), ou pour des raisons purement financières dans le cas de couples déjà mariés ayant déjà des enfants.

Dans les années 1950/60, la contraception et a fortiori l’avortement étaient interdits en France et les grossesses non désirées nombreuses. Les mères au lieu d’être aidées, ont été souvent incitées, voire contraintes à abandonner leur enfant.

Il faut aussi savoir que le business de l’adoption fonctionnait à plein régime et qu’il fallait trouver des bébés pour l’alimenter. Il y avait à l’époque plusieurs œuvres d’adoption privées, subventionnées par l’Etat et par les « dons » des parents adoptifs.

Concernant la loi sur l’accouchement sous X, je souhaiterais qu’elle évolue vers un accouchement sous le secret qui obligerait la mère à laisser son identité et les raisons de l’abandon qui pourraient être communiquées à l’enfant à sa majorité, à sa demande. Ainsi les liens généalogiques ne seraient pas rompus et l’enfant aurait accès à ses origines et à son histoire familiale.

Luso.fr : Quelle image aviez-vous du Portugal avant de connaître vos origines et maintenant ?

Brigitte : Tout comme le fait d’avoir été adoptée, j’ai toujours su que j’avais des origines portugaises. Mes parents adoptifs me l’avaient dit, et cela était en effet précisé dans mon dossier d’adoption.
J’ai toujours été très fière d’avoir des origines portugaises car le Portugal est un grand pays qui a énormément compté dans l’Histoire. De nombreux explorateurs et grands navigateurs sont portugais et ont fait rayonner la culture et la langue portugaises dans le monde. Grâce à leurs découvertes le pays s’est enrichi et comme beaucoup de pays riches à cette époque, il a pu consacrer une part importante de ses richesses au développement de l’art, de l’architecture et de la culture.
Et puis, les portugais ont la réputation d’être des gens extrêmement courageux, travailleurs et fiables, et cette réputation est largement méritée.

Luso.fr : Etes-vous allée au Portugal ?

Brigitte : Je suis allée au Portugal plusieurs fois. La première, c’était pendant mes études, en 1987. J’y suis allée seule et j’ai visité Lisbonne, Coimbra et Porto en train. J’avoue avoir particulièrement aimé Coimbra et avoir été éblouie par la bibliothèque de l’université.

J’ai vraiment eu un coup de foudre pour ce pays, mais cela n’est pas allé plus loin dans le sens où je n’ai pas projeté d’organiser ma vie pour m’y installer.

L’année suivante, nous y sommes retournés en famille, en voiture, et nous avons sillonné le Portugal de l’Algarve (nous sommes arrivés par l’Andalousie) au nord, puisque nous avons fait une halte à Notre Dame de Fatima, puis à Saint Jacques de Compostelle (ma famille adoptive est très Catholique).

J’y suis enfin retournée en 2015, avec mon mari et mon fils, mais nous sommes restés à Lisbonne et ses environs (Sintra).

Je sais que cela peut faire sourire, mais j’aime énormément les paysages du Portugal (que ce soit les bords de mer ou de montagne) et la douceur de vivre qui se dégage de ce pays. Et j’aime aussi entendre parler le Portugais. Je ne le parle pas car je n’ai pas eu l’occasion de l’apprendre, mais j’ai espoir un jour d’avoir cette opportunité.

Luso.fr : Quelles démarches avez-vous entreprises pour découvrir vos parents biologiques ?

Brigitte : J’ai commencé par faire ce que toute personne qui recherche sa famille biologique fait : j’ai demandé mon dossier aux services de l’Aide Sociale à l’Enfance de Paris et à l’œuvre privée par l’intermédiaire de laquelle j’ai été adoptée (la Famille Adoptive Française). Après plusieurs mois d’attente et plusieurs relances, la FAF m’a appelée pour me proposer un rendez-vous au cours duquel ils m’ont remis une photocopie du procès-verbal d’abandon, signé par ma mère biologique (mais ne comportant aucun élément identifiant tel que nom de famille, date et lieu de naissance la concernant), une copie du courrier qu’ils avaient adressé à l'ASE et une fiche médicale me concernant mais incomplète et donc inutile.

Je vous joins en pièce jointe le courrier explicatif que la FAF a adressé à l'ASE, mais je vous demande de ne pas le divulguer car je ne sais pas si les circonstances de mon abandon telles qu’exposées sont exactes et si elles sont fausses, elles peuvent induire certains témoins en erreur et donc gâcher mes chances de retrouver des témoins clés, ou même mes parents biologiques. En effet, pour brouiller les pistes et faire en sorte que les enfants abandonnés ne puissent pas retrouver leur mère et inversement, les services d’adoption inventaient souvent beaucoup de fausses informations.

J’ai également contacté les Archives de l’Assistance Publique-Hôpitaux de Paris afin d’obtenir des informations administratives. J’ai reçu une réponse ainsi que deux fiches d’hospitalisation : la mienne, avec le numéro d’entrée de ma mère et sa fiche au nom de X Maria de Lourdes. Mais rien qui puisse me permettre d’identifier ma mère car il n’y avait ni nom de famille, ni date ou lieu de naissance.

Parallèlement à ces démarches purement administratives, j’ai pris contact avec le médecin qui m’a mise au monde, le docteur Hervé. Après plusieurs courriers échangés en 2000, il a accepté de me recevoir en 2001. A l’époque, il était déjà très âgé et ne consultait plus. Il m’a affirmé ne pas se souvenir de ma mère biologique et n’avoir aucune information la concernant, mais il se souvenait très bien de mes parents adoptifs dont il avait toujours le dossier. En d’autres termes, il a suivi ma mère biologique pendant toute sa grossesse et il n’avait plus son dossier, en revanche, il a rencontré une fois mes parents adoptifs avant mon adoption et il a gardé leur dossier. Tout cela est pour le moins étrange.

J’ai également recherché et retrouvé les neveux de l’Abbé Ménard (déjà décédé depuis une dizaine d’année à l'époque) ainsi que son exécuteur testamentaire pour savoir s’ils avaient des éléments ou s’ils m’autorisaient à consulter ses affaires personnelles. Mais personne ne se souvenait de rien et n’avait rien conservé.

En mars 2017, j’ai rencontré la fille du docteur Hervé qui a repris le cabinet de gynécologie de son père. Elle m’a dit qu’elle ferait rechercher mon dossier par sa secrétaire dans les prochains jours. Malgré plusieurs relances, je n’ai jamais eu de nouvelles.

Au printemps 2018, j’ai demandé à un enquêteur privé de reprendre toutes les recherches et malheureusement, nous n’avons rien découvert de nouveau car il n’y a aucune information dans les archives administratives et que la fille du docteur Hervé refuse de me communiquer le dossier de ma mère.

A l’automne 2018, j’ai fait des tests ADN qui ont confirmé que j’étais Portugaise à 80 %.

Je mets donc beaucoup d’espoir dans cette démarche qui consiste à faire connaitre ma recherche en espérant qu’un témoin, ou mieux, ma mère ou mon père biologique ou quelqu’un qui aurait été dans la confidence, en prenne connaissance et accepte de me révéler la vérité.

Luso.fr : Avez-vous des enfants, connaissent-ils votre histoire ?

Brigitte : J’ai un fils qui a fêté ses 22 ans le 10 juin [Jour du Portugal, de Camões et des Communautés Portugaises, Ndlr]. J’ai commencé mes recherches peu de temps après sa naissance, car en devenant mère moi-même, j’ai compris quelle souffrance et quel déchirement avait dû ressentir ma propre mère en me laissant.
Peut-être s’agit-il là d'un besoin de réparation du mal qu’elle a subi ?
D’autre part, le fait d’avoir un enfant a fait qu’il était devenu indispensable pour moi de connaitre mon histoire pour compléter la sienne et pouvoir répondre à son besoin légitime de savoir qui il est et d’où il vient.

Il est très intéressé par mes recherches et espère lui aussi qu’elles aboutiront, même si, pour me préserver, il ne veut pas me mettre la pression...

Pour communiquer avec Brigitte, merci d’utiliser le mail : Cette adresse e-mail est protégée contre les robots spammeurs. Vous devez activer le JavaScript pour la visualiser., en mettant Brigitte Elisabeth Claudie en objet.